L’attention, une nouvelle économie

Dans un monde saturé d’informations, notre attention est devenue une ressource précieuse. Entre algorithmes, publicité ciblée et design persuasif, les plateformes rivalisent d'ingéniosité pour capter notre regard et influencer nos comportements.

Les questions autour de notre attention et de la bataille pour sa captation se posent dès le début du XX° siècle. Cet enjeu a été soulevé par la rencontre conjointe de deux états de fait caractéristiques de notre société contemporaine : l’explosion des informations accessibles et l’accroissement de notre temps de cerveau disponible. Alors que nous aurions pu penser que cette situation exceptionnelle allait permettre une démocratisation massive du savoir, nous assistons au contraire à une guerre pour capter un gigantesque marché : celui de notre attention.

L’explosion du numérique est lourde de conséquences pour nos relations avec les autres et nos capacités cognitives. Ce que l’on nomme justement « économie de l’attention », est définie par le Conseil National du Numérique comme « un ensemble de dispositifs mis en œuvre afin d’extraire une valeur marchande à partir de la captation de l’attention des utilisateurs ». Cette bataille pour notre attention est capitale aujourd’hui pour les entreprises de toutes tailles. Nous sommes submergés en permanence par des informations diverses et variées sur tous les sujets, même sur les moins pertinents (l’organisation du prochain concours de hot dogs !). À travers ce flux ininterrompu, comment influencer ou prédire sur quelle information notre intérêt va se porter ? Les entreprises redoublent aujourd’hui d’inventivité pour se faire une place dans cette nouvelle économie.

Publicité et design persuasif

Pour extraire une valeur marchande d’une donnée aussi intangible que l’attention, il faut maintenir le regard de l’utilisateur le plus longtemps possible sur l’entreprise en question, pour l’exposer à la publicité et/ou maximiser son engagement.

La publicité ciblée en fonction de l’utilisateur est un des ressorts les plus efficaces de cette nouvelle économie : elle très employée sur les réseaux sociaux, particulièrement les très grandes plateformes comme Facebook, Instagram, WhatsApp … Elles vendent aux entreprises les données de leurs utilisateurs à des fins commerciales ou marketing. Grâce à ces informations, l’entreprise cliente va réaliser des publicités personnalisées, que la plateforme suggérera aux utilisateurs susceptibles d’y être sensibles. Dans le cas d’Instagram, l’algorithme du réseau social analyse nos préférences de contenu pour nous proposer la publicité correspondante : si vous consommez des vidéos de recettes de cuisine, on vous gavera de publicités pour des produits culinaires. Instagram encaisse de l’argent à chaque clic utilisateur sur un contenu publicitaire, tandis que l’entreprise cliente gagne en visibilité et peut conquérir un nouveau client si celui-ci achète le produit. Les données collectées peuvent être diverses, allant de notre géolocalisation, à notre âge, genre, historique de recherche, nos centres d’intérêts … autant d’informations qui permettent de créer une publicité la plus personnalisée possible et la cibler efficacement.

De plus, toutes ces entreprises et plateformes maintiennent notre attention grâce à un design persuasif, utilisé dans tous les domaines du marketing, qu’il soit numérique ou physique. Ce type de design cherche à orienter plus ou moins subtilement les choix de l’utilisateur. Le système des notifications fonctionne sur ce principe en nous poussant à consulter l’application sans besoin précis ; ou celui de récompense, comme le nombre de “like” sur une publication qui nous fait rechercher une validation extérieure.

Ce design peut parfois être déloyal vis à vis de l’utilisateur, on parle alors de dark pattern : par exemple, le fait de faciliter au maximum l’adhésion à un abonnement payant sur une plateforme, mais extrêmement difficile sa résiliation. Ce genre de pratique a été rendu illicite par le Digital Services Act (DSA), mais continue pourtant d’être observéo.

Le piège de la dopamine

Si toutes ces fonctionnalités et interfaces parviennent aussi bien à capter notre attention, c’est à la fois parce qu’elles jouent sur nos biais cognitifs, mais aussi parce qu’elles nous procurent de la dopamine, l’hormone du bonheur et de la motivation.

À titre d’exemple, les réseaux sociaux exploitent le biais de négativité – la tendance naturelle de l’être humain à accorder plus d’attention aux informations négatives ou menaçantes – en mettant en avant des contenus polémiques ou conflictuels. Ces contenus suscitent des réactions émotionnelles fortes (colère, indignation), qui captent notre attention plus efficacement que des contenus neutres. Or, chaque réaction (like, commentaire, partage) déclenche une libération de dopamine, renforçant le circuit de récompense et nous incitant à interagir encore davantage. Ce cycle entretient une forme d’addiction : notre cerveau associe émotion forte, interaction et récompense immédiate.

Ce phénomène d’addiction est une des conséquences cognitives de l’économie de l’attention. C’est pourquoi il est si difficile de se passer de certaines plateformes. Cette addiction représente une menace pour nos relations sociales réelles et prolonge nos passages sur les plateformes numériques.

De nombreuses études ont montré que cette surexposition au numérique et à la publicité a réduit la capacité d’attention de l’Homme à 9 secondes, expliquant pourquoi nous sommes aujourd’hui beaucoup plus friands de contenus courts. La chercheuse Katherine Hayles affirme que le passage des médias imprimés aux médias numériques a fait disparaître progressivement notre attention profonde, au profit de l’hyper-attention : nous avons plus de mal aujourd’hui à nous concentrer sur une seule tâche, préférant les multiplier, ce qui engendre de l’impatience et un besoin de stimulation constant.

Désir sous influence

Plus généralement, nous observons une destructuration du désir : avec la publicité ciblée, celui qui l’emploie cherche à anticiper nos désirs, en se fondant sur les données qui lui sont transmises. Le désir est suscité artificiellement, il devient éphémère. Pourtant, il devrait se fonder sur nos pulsions profondes et s’accorder à ce que nous sommes intimement. C’est pour cette raison qu’il est moteur dans nos vies. Cette destructuration tend à le confondre avec une envie passagère et nous empêche de nous projeter dans l’avenir : nous ne vivons plus que dans l’instant présent, à la recherche constante de nouveaux buts.

Régulation et enjeux éthiques

Si de nombreuses tentatives sont réalisées afin d’encadrer légalement l’usage de cette nouvelle ressource, les avancées sont très lentes et soulèvent beaucoup de difficultés, notamment sur le juste équilibre entre préservation et coercition : le gouvernement chinois a interdit aux mineurs l’accès aux jeux en ligne entre 22h et 8h. Cela ne rogne-t-il pas sur la liberté individuelle ? Ne devrait-ce pas être de l’ordre de la responsabilité parentale ?

Il est ainsi très difficile et très long de faire évoluer les choses. Il devient alors essentiel d’être lucide sur ces sujets, de s’informer sur les nouveaux enjeux économiques pour mieux éviter les conséquences dramatiques qu’ils peuvent entraîner au niveau cognitif et relationnel.

Pour vous aider à penser tout cela, nous accueillerons à la rentrée Gérald Bronner, Albert Moukheiber et Étienne Klein. D’ici-là, vous pouvez écouter sur notre plateforme de podcasts Merci Socrate, les cycles de conférences de Camille Dejardin (Pourquoi apprendre ?), Gérald Bronner (Vitalité des croyances dans le monde contemporain) et Albert Moukheiber (Neuromania) qui peuvent vous aider à appréhender ces sujets.

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